#1 Christine : “Sans le souci du climat, je serais une maman et une mamie qui vit à fond.”
- julie00501
- 16 avr.
- 5 min de lecture
Le climat et moi. Laissés pour compte, agriculteurs, climatosceptiques, jeunes de banlieue… Nous vous proposons dans cette rubrique de partir à la rencontre de Français et Françaises éloignés des cercles écologistes. A tous, nous avons posé la même question : “Et vous, l’environnement, vous en pensez quoi ?”
→ Première rencontre avec Christine, 55 ans, maman de quatre enfants dans le Nord de la France et jeune grand-mère. Elle compte les sous mais sa tribu fait son bonheur. De sa cuisine, elle jette un regard acéré sur le monde qui l’entoure, depuis les politiques qui l’ont déçue, jusqu’au climat qui change.

Modeste économe : le pouvoir d'achat en sujet de fond. Christine, 55 ans, voit le changement climatique depuis sa cuisine, près de son poêle à bois. Salariée dans un commerce ambulant, elle vit entourée de sa tribu, ses quatre enfants, dont deux jeunes adultes qui vivent encore avec elle, et ses deux petits-enfants. Une vie modeste, on le comprend, où on est toujours à “un pépin” près, chômage, accident, maladie, d’entrer dans le rouge… A chaque tournée de courses, elle observe la même hausse inéluctable des prix, et vit perpétuellement dans la chasse aux bonnes affaires pour y faire face sans trop priver ses proches. “On y arrive quand même”, soupire-t-elle.
Le vivre-ensemble mis à mal. Et à chaque fois qu’elle s’intéresse à l’actualité, sur CNews ou BFM, c’est pour faire le compte des guerres qui tuent des enfants, ou “d’un problème migratoire toujours pas résolu”. Elle associe ce problème à l’insécurité et un communautarisme grandissant mettant à mal le “vivre ensemble” français. “On veut bien les accueillir, mais à la condition qu’ils s’adaptent comme nous.”
Côté politique, "on a goûté à la droite, ça a été l'hécatombe. On a goûté à la gauche, ça a été l'hécatombe”, résume-t-elle. Elle a voté Emmanuel Macron avec enthousiasme, puis Marine Le Pen en y croyant. Elle a tranché : “Ils nous donnent tous l’impression qu’ils peuvent changer le monde, et finalement, on s’aperçoit que c’est juste la place qui les intéresse, pas d’interagir avec le peuple.”
“Depuis deux ans, je n'ai plus d'eau dans l'étang. Je n'ai jamais connu ça en 30 ans.”
Changement climatique, du constat au déclic. Mais Christine reste joviale, car elle a ses petits plaisirs : sa santé qui s’améliore, voir ses petits-enfants grandir et, chaque matin, ouvrir ses rideaux pour contempler le petit étang et sa barque, dans son grand jardin. Enfin, ça c’était avant : “Depuis deux ans, je n'ai plus d'eau dans l'étang. Je n'ai jamais connu ça en 30 ans. La première fois, on a perdu tout le poisson qu'on avait dedans. Là, on se retrouve avec un étang rempli d’herbe.” Ça plus le fait qu’elle et son mari n’ont plus besoin de mettre la poêle à chauffer avant novembre, ça suffit à la convaincre : “Oui, le changement climatique est là.”
Cette prise de conscience croise deux autres chocs. D’abord celui d’un cancer du sein (guéri aujourd’hui) dont elle parle peu, mais dont on perçoit l’impact dans son intérêt pour la pollution de son environnement direct et celle liée à l’agriculture. ”Je fais un lien entre alimentation et cancer”, explique-t-elle. Ses critiques visent le monde agricole et ses pratiques polluantes, mais plus généralement un modèle agro-industriel global générant une alimentation de piètre qualité.
Écologie ordinaire : entre conscience environnementale et conso "maline".“Le Covid a beaucoup été un déclencheur pour moi, pour réfléchir à tout ce que je pouvais faire de bien, ce que je pouvais changer dans ma vie”, se souvient-elle aussi. Depuis, elle s’est mise aux recharges de savon pour réduire ses déchets d’emballages et elle est intraitable sur les gâchis de nourriture et l’art d’assaisonner les restes. “Et si j'ai besoin de vêtements, je vais sur Vinted. Je vais régulièrement à Emmaüs, pas loin de chez moi. J'essaye de faire le Bon Coin aussi. Ou Marketplace sur Facebook, récemment j’y ai trouvé une machine à laver pour 50 euros.” Des petits gestes, peut-être… mais qui marquent un “avant-après” dans la vie de Christine et un changement de regard sur son mode de vie et ses impacts.
📌 Dans sa thèse, l’ethnographe Fanny Hugues décrit les “débrouilles rurales”, des modes de vie caractérisés par des revenus modestes et une importante économie de subsistance, qui passe notamment par des gestes écologiques non-reconnus comme tels (récup”, auto-subsistance alimentaire, troc, soin…).
“J'ai peur pour mes petits-enfants de ce qu'on va leur laisser sur la Terre.”
Les freins : les moyens et l'angoisse paralysante. A ses yeux pourtant, “on n’agit pas suffisamment, même moi.” Son principal frein pour aller plus loin ? “Malheureusement, mes moyens ne sont pas suffisants pour pouvoir le faire à 100 %.” Elle aimerait par exemple consommer plus de produits bio, mais “c’est plus cher que ce qu’on peut se permettre”. Entre cette prise de conscience des enjeux mais aussi des limites à son pouvoir d’agir, Christine confie “ vivre avec l’inquiétude” pour l’avenir de ses petits-enfants.
De l'inquiétude à la colère. Et non seulement Christine a peur, mais elle semble aussi un peu en colère. “Quand j’entends les mots nature, environnement ou climat, ce qui me vient instinctivement, ça sera ‘destruction et peur de l’avenir’, mais aussi mensonge. Parce qu’ils nous promettent de réduire l’impact de la pollution sur l’environnement, et c’est un gros mensonge. Alors pourquoi nous, on va faire un effort ? Ces messieurs prennent des jets qui consomment du kérosène, des paquebots qui polluent à tout va, beaucoup plus qu’une voiture dans toute une année. Et nous, qui n’avons que des petits véhicules, c’est à nous de faire l’effort ?”
📌 48% des Français sont “tout à fait d’accord” avec l’idée que “changer ses comportements pour protéger l’environnement et lutter contre le changement climatique ne sert à rien car les plus gros pollueurs ne font quasiment rien”. (Source : Les Français parlent climat 2025)
Mais Christine n’a pas dit son dernier mot et semble placer encore un peu de foi dans le pouvoir de son bulletin de vote : “Peut-être que si je redonne mon vote la prochaine fois, ça sera pour l'écologie, pourquoi pas ? Après tout, voter pour l'écologie, c'est pour le bien-être de la planète. On n'a rien à perdre à tenter.”
Les citations de ce texte sont issues d’entretiens qualitatifs menés en 2023 ou 2024 dans le cadre d’une étude pilotée par Parlons Climat sur les “Laissés-pour-compte”. Le prénom a été changé.
Pour aller plus loin :
Recommandations stratégiques : Parler aux Laissés-pour-compte
Webinaire : Dans la tête des Laissés-pour-compte