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Que pensent vraiment les agriculteurs de la transition écologique ?

Les agriculteurs travaillent au quotidien avec le vivant. Ils sont donc parmi les premiers à percevoir et subir les effets du changement climatique. Par delà la diversité de chaque territoire et de chaque spécialité, on observe dans les mondes agricoles un consensus en soutien d’une transition écologique perçue comme nécessaire voire souhaitable. Le soutien à des aides pour soutenir cette transition est d’ailleurs extrêmement fort. Cependant, au-delà de la question de principe, la mise en œuvre opérationnelle de la transition gagnerait, selon les agriculteurs, à être plus claire dans sa direction et ses modalités, tout en prenant en compte le contexte de crise des mondes agricoles dans lequel elle s’inscrit. C’est ce que nous avons pu constater au cours de notre étude sur les mondes agricoles.





La question climatique est une réalité du quotidien pour les agriculteurs : les trois quarts d’entre eux déclarent déjà percevoir une incidence forte du changement climatique sur leur production. Comme le dit Corine, éleveuse de canards et porcs installée dans le Sud-ouest : 


Forcément, on s'adapte avec les conditions climatiques. Cette année est quand même très, très particulière, par exemple. Mais plus ça va, plus on rencontre des problèmes comme ça.

Les impacts des changements climatiques ont d’ailleurs été à l’origine des mouvements des agriculteurs de 2024

  • Les sécheresses ou la maladie hémorragique épizootique (MHE), ont été des facteurs déclencheurs du mouvement en Occitanie en janvier 2024 ;

  • l’impossibilité de semer de nombreuses parcelles du fait de conditions climatiques exceptionnellement défavorables en 2024 a été à l’origine de la mobilisation de nombreux agriculteurs, notamment céréaliers, fin 2024.


L’ensemble de ces phénomènes n’auraient pas existé ou auraient été moins intenses sans le changement climatique.


De ce fait, la transition écologique est aujourd’hui consensuelle dans les mondes agricoles :  62% des agriculteurs interrogés y voient une nécessité, 23% y perçoivent même une opportunité. Comme le partage Michael, arboriculteur dans le Sud Ouest :


Moi j’ai des enfants, ce serait la logique de leur transmettre des terres qui soient encore capables de produire et un climat qui soit cohérent.

ou Sébastien, installé en polyculture dans l’Ouest :


L'écologie, on y fait attention. Si on veut que ça pousse sur nos terrains, mais il faut que la terre elle vive, quoi.

Seuls 15% des agriculteurs voient dans la transition une menace. Ce groupe est notamment composé d’agriculteurs âgés, peu insérés socialement et qui ne recommanderaient pas à un proche de s’installer comme agriculteur.


Au-delà du consensus autour de la transition écologique, le dérèglement climatique est aujourd’hui une des sources d’inquiétude principales des agriculteurs pour l’avenir de leur exploitation. Elle est citée comme telle par 26% des agriculteurs, en faisant ainsi leur troisième source d’inquiétude, derrière le contexte économique et réglementaire. 


On le voit, au-delà de leur diversité, les mondes agricoles sont impactés par le changement climatique, y voient une source d’inquiétude majeure pour l’avenir de leurs exploitations et soutiennent donc la transition écologique. Concrètement, comment cela se traduit ?


D’abord, en terme de direction générale pour la transition écologique, les agriculteurs sont 79% à considérer que l’orientation des modes de production actuels vers des pratiques agroécologiques est la bonne solution pour s’adapter au changement climatique, contre 21% seulement qui considèrent que c’est l’intégration de solutions technologiques qui devrait primer. L’agroécologie semble donc être la solution privilégiée par les agriculteurs. 


Comme le dit Jean-Luc, installé en polyculture-élevage dans le Sud Ouest :


"On va vers une agriculture plus durable et ça c'est le bon sens”

Mais cette transition devra être accompagnée. Dans nos enquêtes, le soutien à la transition s’exprime également via le soutien à un certain nombre d’aides spécifiques. Ainsi, 82% des agriculteurs sont favorables à des aides qui encouragent la préservation de la qualité des sols, des ressources en eau et en biodiversité. De manière plus probante encore, 28% des agriculteurs interrogés souhaiteraient faire des pratiques environnementales le critère essentiel pour répartir les aides de la PAC, juste derrière les aides à l’hectare (35%) et devant les aides à l’actif (26%). Ainsi, au-delà de soutenir la transition écologique, les agriculteurs soutiennent également une réforme du système d’aides pour la rendre possible.


C’est en effet nécessaire car, comme le dit Christophe, installé en polyculture dans le Sud Ouest :


"Il faut qu'on accompagne aussi, parce qu'on a trop d'engagement économique et on ne peut pas se permettre aujourd'hui de baisser la production ou de faire des tests."

Si aujourd’hui, l’enjeu économique, première inquiétude des agriculteurs, est central dans la mise en place de la transition écologique, d’autres sujets les interrogent quant à la transition écologique.


On peut en citer quatre en particulier, qui ont émaillé les entretiens qualitatifs que nous avons réalisés : 

  1. un manque de direction : comme nous le disait Guillaume, installé en grandes cultures dans l’Ouest : “C'est quoi la transition écologique et qu'est-ce qu'il faut faire ? Parce que là, on se gausse avec ça, la transition écologique, mais dans quel but ? Moi, je veux bien accompagner, mais accompagner quoi ? Pour aller où ?”. Chaque exploitation, chaque spécialité, chaque géographie a ses enjeux et ses contraintes propres vis à vis des questions de transition, et montrer une direction commune n’est pas évident ;


  2. un manque de stabilité : comme nous le disait Sébastien, installé en polyculture dans l’Ouest : “Le problème, c'est que ça change très régulièrement. Le problème, c'est qu'aujourd'hui, vous faites ça, mais demain…”. Cet enjeu de stabilité de la norme est notamment perçu autour de l’exemple du glyphosate comme nous le disait Vincent, installé en élevage dans le Nord : “Il y a un moment donné, on nous dit, ben, le glyphosate, il faut à tout prix l'arrêter. Pour finir, après, on dit non”, qui ajoutait ensuite “les normes changent souvent. Des fois, on fait des choses et on se demande est-ce qu'on a le droit de le faire ?” Pour des exploitations dont l’évolution du mode production se fait sur plusieurs années, l’instabilité normative est une problématique importante économiquement mais psychologiquement également : ne pas savoir ce qui est permis ou non à un instant T crée du stress ; 


  3. une insuffisante participation des agriculteurs à la définition de la transition, qui se traduit par une perception de certaines normes comme non adaptées. Comme le dit Corine : “Il faut mettre les agriculteurs autour de la table”. En effet, les normes nationales sont perçues comme émises par des instances éloignées du terrain et donc non adaptées aux réalités locales ;


  4. une complexité et une lourdeur administrative s’inscrivant dans un cadre plus large d’évolution du métier d’agriculteur où les tâches de bureau prennent de plus en plus de temps. Comme nous le partageait Guillaume :“Les contraintes, effectivement, elles augmentent. Et on peut parler de la comptabilité, on peut parler de la mécanique, qui se simplifie pas non plus. Enfin, tout est de plus en plus complexe, donc génère de la tension” ou encore Vincent : "Aujourd'hui, c'est même pas une évolution agricole, c'est une évolution administrative, parce qu'aujourd'hui, on est des bureaucrates, quoi, on passe son temps derrière un ordinateur”. Dans ce cadre, les nouvelles normes écologiques, venant après des dizaines d’années de complexification croissante du métier, peuvent être la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Ce n’est pas lié à leur contenu en tant que tel mais au fait qu’elles sont une nouvelle couche de complexité qui vient s’additionner à des dizaines d’autres.



Pour conclure, on peut dire que les agriculteurs, impactés par le changement climatique, sont des soutiens de la transition du secteur. Pour la réaliser, ils soutiennent davantage d’aides permettant qu’elle soit économiquement viable. Dans la mise en œuvre, ils peuvent lui reprocher un manque de clarté, de constance, voire de lourdeur et de respect pour leur expertise. Ces reproches, réels, sont à mettre dans le contexte global dans lequel la transition écologique des mondes agricoles s’inscrit. En effet, les agriculteurs sont à un moment charnière où leur nombre décroît, leurs liens avec la société s’abiment et leur autonomie sur leurs exploitations est remise en question. Ces crises des mondes agricoles, largement exogènes aux enjeux de transition écologique, sont centrales à prendre en compte pour la réussir. 


La transition écologique des mondes agricoles sera réussie si elle permet aux agriculteurs de regagner en autonomie sur leurs exploitations et de renouer leurs liens avec la société. 


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