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Mobilisation climatique des seniors : une diversité mondiale de pratiques et de motivations

  • Photo du rédacteur: Amélie Deloffre
    Amélie Deloffre
  • 28 oct.
  • 5 min de lecture

Longtemps cantonnés au rôle de spectateurs dans la lutte climatique, les seniors émergent aujourd'hui comme de nouveaux acteurs de l'action environnementale. Pour autant, à travers le monde, tous les seniors n’ont pas les mêmes modalités d’actions, ni les mêmes formes de mobilisations. Il semble donc y avoir une planète, mais des mobilisations seniors.


Auteure : Anne-Bérénice Simzac, sociologue, responsable du pôle recherche au sein du cabinet Generacio




Trois typologies de mobilisation qui transcendent les frontières


Pour identifier les différents types de mobilisations et d'initiatives des seniors pour le climat, un benchmark international a été réalisé (en consultation libre ici). Ce benchmark n’a pas vocation à être exhaustif mais permet de faire émerger trois grandes familles d'initiatives portées par les seniors à travers le monde, chacune mettant en évidence des logiques d'action distinctes.


Les mouvements militants et associatifs : l'interpellation politique au cœur de l'action

La première typologie rassemble les organisations qui privilégient l'interpellation directe des pouvoirs publics. Ces mouvements mobilisent des dizaines de milliers de seniors autour d'actions de plaidoyer diversifiées selon les contextes nationaux.


Dans cette catégorie d’action, on peut citer notamment les « Aînées pour le climat » en Suisse, groupe de femmes âgées de près de 2 500 membres, a mené une bataille juridique de 8 ans qui s'est soldée par la condamnation historique de la Suisse par la Cour européenne des droits de l'Homme en 2024. Soutenues par Greenpeace, la stratégie de ce groupe combine actions juridiques, manifestations et sensibilisation de l'opinion publique.


Aux États-Unis, « Third Act » développe une approche différente en s'appuyant sur le poids économique des seniors. Ce mouvement de 70 000 « supporters » âgés de plus de 60 ans cible le financement des énergies fossiles par les banques, utilisant l'épargne des retraités comme levier de pression. Leurs actions incluent fermetures symboliques de comptes bancaires, campagnes digitales et désobéissance civile « douce ».


Autre mouvement représentatif de cette de logique d’action, les « Grands-parents pour le climat » témoigne de la capacité de diffusion internationale de ce type initiatives. Mouvement né en Norvège en 2007, il a été dupliqué dans de nombreux pays européens ainsi qu'aux États-Unis, Canada et Australie. Il constitue maintenant un réseau de plus de 10 000 seniors engagés et agit via des manifestations, de la désobéissance civile, des campagnes digitales ou encore l’animation d'ateliers de sensibilisation.



Les Aînées pour le climat - ©Greenpeace Suisse / Shervine Nafissi
Les Aînées pour le climat - ©Greenpeace Suisse / Shervine Nafissi


Les initiatives éducatives : la transmission comme levier d'action

La deuxième typologie d’action privilégie l'éducation et la sensibilisation, faisant ainsi des seniors des vecteurs de transmission de savoirs environnementaux.


Dans cette logique, le programme américain « RISE » (Retirees in Service to the Environment), développé par l'université Cornell depuis 2004, permet aux ONG et municipalités de former des bénévoles seniors aux enjeux environnementaux à travers une formation intensive de 30 heures réparties sur 8 semaines, combinant apports théoriques et activités pratiques sur le terrain. A la fin du programme de sensibilisation, les seniors peuvent développer un projet communautaire concret en faveur de la protection de l’environnement.


Ce projet est en cours de dissémination en France et au Québec via une traduction des outils et une adaptation aux contextes francophones. Le projet expérimental GENERE (Générations Réunies pour l'Environnement) porté par l’université de Sherbrooke, souhaite développer une approche intergénérationnelle en associant seniors et enfants dans des ateliers collaboratifs. Cette démarche de co-apprentissage est portée conjointement par des collectivités locales, associations périscolaires et universités.



Les initiatives opérationnelles : l'action directe sur le terrain

La troisième typologie regroupe les initiatives d'action directe, où les seniors s'engagent concrètement dans la protection environnementale en mobilisant leurs compétences et leur disponibilité.


Aux États-Unis, les « Montana Conservation Elders » ont choisi une approche patrimoniale de l'engagement. Cette association intergénérationnelle, pilotée depuis 2023 par d'anciens professionnels de la nature (forestiers, biologistes, enseignants, activistes), combine transmission de savoirs et actions concrètes de conservation. Leurs activités incluent conférences sur l'histoire du mouvement de conservation, interventions dans les écoles, nettoyages de rivières et camps d'été pour les jeunes, créant ainsi un véritable pont entre générations autour de la préservation du patrimoine naturel.


En Chine, les « Dama de Xiuquan » installées dans la ville de Canton, représentent un groupe de 3 000 femmes retraitées bénévoles, anciennes cadres et membres du Parti, qui développent des actions de sensibilisation via la culture populaire et les actions de terrain. Leurs initiatives incluent la création d'une chanson de rap sur la protection de l'environnement, chanson populaire qui a été primée localement. Elles portent aussi des initiatives concernant le recyclage, des opérations de ramassage de déchets et s’impliquent dans les politiques locales environnementales. Leurs actions sont réalisées en concertation avec la municipalité et le Parti communiste local.


Autre exemple, le « Senior Environmental Corps » américain mobilise de leur côté plus de 20 000 bénévoles seniors dans des missions de surveillance de la qualité de l'eau, de nettoyage d'habitats naturels ou d'éducation environnementale dans les écoles, démontrant ainsi la capacité des seniors à s'organiser à grande échelle pour des actions concrètes.



Des motivations universelles ancrées dans des contextes spécifiques


À travers les différents contextes étudiés, la motivation première qui anime l'engagement climatique des seniors demeure majoritairement la responsabilité envers les générations futures. Qu'elle s'exprime à travers l'appel moral des mouvements européens comme les Grands-parents pour le climat ou le devoir patriotique mis en avant dans le bénévolat environnemental chinois, cette préoccupation intergénérationnelle transcende les frontières culturelles.


La notion de patrimoine constitue une deuxième motivation centrale, mais elle revêt des significations variables. Pour les Montana Conservation Elders américains, il s'agit essentiellement de préserver les espaces sauvages qu'ils ont côtoyés toute leur vie. Pour les seniors français engagés dans des projets d'économie circulaire locale, c'est la qualité de vie territoriale qui est en jeu.


Dans les initiatives étudiées, les seniors privilégient massivement le levier politique et institutionnel comme levier d’action. Par exemple, les Aînées pour le climat ont ainsi obtenu une condamnation historique de l’Etat Suisse. Les seniors engagés dans Third Act utilisent de leur côté le poids économique des retraités pour influencer les institutions financières, tandis que les membres des Grands-parents pour le climat multiplient les tribunes et lettres ouvertes aux élus.


La socialisation des seniors dans des systèmes où l'action publique est perçue comme efficace et légitime pourrait être un facteur explicatif de cette préférence. Contrairement aux jeunes générations souvent tentées par des formes d'action plus radicales, les seniors engagés maintiennent une confiance relative dans les mécanismes démocratiques traditionnels.



Une richesse à cultiver


Cette cartographie mondiale de l'engagement climatique des seniors, même si non exhaustive, témoigne de la richesse des pratiques et des approches. Loin de constituer un mouvement uniforme, ces initiatives montrent la capacité d'adaptation des seniors engagés pour le climat aux contextes dans lesquels ils évoluent.


Cette diversité constitue une ressource précieuse pour l'action climatique globale. Elle suggère que les réponses au défi environnemental ne peuvent être universelles mais doivent s'enraciner dans les réalités territoriales, culturelles et politiques spécifiques.


L'enjeu consiste désormais à transformer cette mosaïque d'initiatives en un véritable écosystème d'apprentissage mutuel, où les expériences de chaque contexte enrichissent la compréhension globale de ce que peut être un engagement senior pour le climat. Car face à l'urgence climatique, toutes les énergies comptent, y compris celle d'une génération qui a encore beaucoup à offrir à la planète.



Pour aller plus loin :


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